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LE CERF ET LA BICHE

 

LE CERF ET LA BICHE 

Propos liminaires : courte nouvelle, vécue, troublante, légèrement romancée.

 

 

Son pas est lent, majestueux, fier.

Il vit en solitaire toute l’année, libre de son temps.

Il ne se mêle pas au troupeau des biches agaçantes qui s’occupent de leurs petits, lui non, surtout pas.

Mais vient la saison des amours que le ciel lui indique.

Alors il doit bien se résoudre à assumer son rôle, marquer sa présence et rassembler ses biches.

Tête levée vers le ciel à la tombée de la nuit, il lance son appel, rauque, puissant, le brame.

Malgré sa polygamie, il garde dans son cœur de bête une biche qu’il aime plus particulièrement, mais elle n’est pas là avec les autres.

« Or il ne sait pas que sa biche est morte. »

Tous les soirs, il reprend son appel de plus en plus insistant en regardant le ciel comme dans une prière.

« Car il ne sait pas que sa biche est morte. »

Troublé mais pas découragé, il parcourt la forêt traverse les prairies les rivières et les champs.

« Mais il ne sait pas que sa biche est morte. »

Renouvelant son brame, l’inquiétude grandit, il s’arrête et attend, dresse son oreille et hume les odeurs.

« Il espère que bientôt elle viendra. »

Ce soir pourtant sa confiance décline, un doute lui parcourt l’esprit et une larme perle de ses yeux.

« Alors il pense que sa biche est peut-être bien morte. »

Il s’arrête et attend, les larmes coulent sur son museau, il n’a plus da courage, elle devrait être là.

« Il pense alors que sa biche est bien morte. »

Il poursuit pourtant sa recherche et retrouve enfin l’endroit. Il s’allonge et s’endort sur le sang de sa biche, tuée par des chasseurs, son odeur demeure.

Fermant ses grands yeux il décide de mourir.

Alors quand le chasseur tire la balle mortelle, il ne bouge pas et pense à sa biche.

Jean Ventrin